Relier les territoires du monde pour construire la Paix

Publié le 09/12/2025

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Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”

Photo : Rencontres Eau Sénégal-Togo-Drôme en 2024 / GRET

Une interview de Delphine Benassy

Delphine Benassy est la vice-présidente de la Région Centre-Val de Loire en charge de la coopération internationale

Depuis plus de vingt ans, la Région Centre-Val de Loire inscrit la coopération internationale au cœur de son projet politique. Dans un monde fragmenté, marqué par les crises et les replis, cet engagement fait figure de boussole : celle d'un lien entre les peuples, les territoires et les générations. Delphine Benassy revient sur la vision, les priorités et les effets concrets de cette politique régionale, entre ouverture, solidarité et culture de la paix.

Depuis plus de vingt ans, la Région Centre-Val de Loire inscrit la coopération internationale au cœur de son projet politique. Dans un monde fragmenté, marqué par les crises et les replis, cet engagement fait figure de boussole : celle d'un lien entre les peuples, les territoires et les générations. Delphine Benassy revient sur la vision, les priorités et les effets concrets de cette politique régionale, entre ouverture, solidarité et culture de la paix.

La coopération internationale fait partie de l'ADN de la Région Centre-Val de Loire. Dans un contexte mondial souvent tendu, pourquoi continuer à y croire si fortement ?

Cette politique est un pilier de notre action depuis deux décennies. Elle a été inscrite dès 1998 dans le projet politique de la majorité régionale et elle n'a jamais été remise en cause. Bien au contraire, nous avons réaffirmé notre engagement à travers une nouvelle stratégie, adoptée en décembre 2024. Dans une époque où la tentation du repli existe, il nous semble essentiel de rappeler que la rencontre, la coopération et la fraternité — ou la sororité — sont des leviers puissants de compréhension mutuelle.
Quand on se connaît, on se parle, on travaille ensemble, on apprend à lever les peurs. C'est aussi simple et aussi fondamental que cela. Dans un monde où les conflits ne s'éteignent pas, la coopération est notre manière d'apporter une pierre concrète à la construction de la paix.

Au-delà de la paix, cette ouverture au monde permet-elle d'aborder autrement les grands défis globaux — environnement, climat, égalité, ressources ?

Bien sûr. Ces enjeux sont universels : la raréfaction des ressources, les effets du dérèglement climatique et ses impacts sociaux, la place de chacun dans la société… Ce sont des questions d'habitabilité du monde. Mais elles s'expriment différemment selon les contextes, les cultures, les pratiques. C'est pourquoi la coopération internationale est si précieuse : elle permet de se décentrer, de voir comment d'autres peuples gèrent les mêmes difficultés, parfois avec des solutions différentes, plus adaptées à leurs réalités locales.

En découvrant ces autres manières de faire, on s'enrichit. Cela nous oblige à sortir de nos cadres, à penser autrement, à construire des réponses plus créatives et plus ajustées.

La stratégie régionale repose aussi sur des « marqueurs du territoire » : la Loire, le patrimoine, les paysages… En quoi cela influence-t-il votre manière de coopérer ?

Ces marqueurs ne sont pas décoratifs : ils ancrent notre action. La coopération ne flotte pas dans les airs, elle s'appuie sur ce que notre territoire a d'unique. En partant de nos atouts – la Loire, patrimoine mondial de l'UNESCO, nos savoir-faire agricoles, culturels ou environnementaux – nous créons des ponts cohérents avec nos autres politiques publiques. Cela permet d'impliquer une grande diversité d'acteurs : collectivités, établissements scolaires, associations, entreprises, chercheurs… Tous ont des expertises à partager. Et ces échanges nourrissent nos propres politiques. C'est un cercle vertueux : en partageant nos expériences, nous en tirons nous-mêmes des enseignements précieux.

Coopération internationale Région Centre-Val de Loire et Inde

Photo : Cérémonie protocolaire avec la délégation du Tamil Nadu (Inde)

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces coopérations fondées sur les marqueurs du territoire ?

Je pense d'abord à notre coopération avec Luang Prabang, au Laos, née d'un dialogue entre deux territoires ensuite classés au patrimoine mondial de l'UNESCO : le Val de Loire et la ville de Luang Prabang. Au fil du temps, cette relation s'est élargie à d'autres enjeux, notamment l'accès à l'eau et l'assainissement en milieu rural. Ce projet aborde aujourd'hui la gestion concertée de la ressource, un bien commun de plus en plus menacé. Lors de notre prochaine mission, nous y emmènerons des représentants de Bourges Plus, de la Mission Val de Loire et d'autres partenaires régionaux, pour croiser les expertises sur la préservation de la qualité de l'eau.

Ces échanges s'ancrent dans des logiques de réciprocité et nous permettent de renforcer nos propres pratiques tout en appuyant nos partenaires. C'est un double mouvement : nous donnons, mais nous recevons aussi beaucoup.

Et sur d'autres territoires de coopération, quels effets concrets avez-vous pu observer ?

Un autre exemple fort est celui de notre partenariat avec la Région du Gorgol, en Mauritanie. Il s'articule autour de l'agriculture, de la formation et de l'insertion des jeunes. Nous avons mis en place des échanges entre un lycée agricole d'Orléans et une école de formation en Mauritanie. Cela a permis des mobilités d'enseignants et d'étudiants, mais aussi l'organisation, en région Centre-Val de Loire, d'un colloque sur l'adaptation des pratiques agricoles au dérèglement climatique. Ce type de rencontre crée un véritable aller-retour d'expériences. Les acteurs mauritaniens découvrent nos initiatives locales, et nous, nous nous inspirons de leur rapport au climat et à la terre.

La coopération se développe également avec l'Inde et le Maroc, autour du tourisme notamment. Comment ces projets se construisent-ils ?

Avec l'Inde, nous travaillons sur le tourisme culturel et numérique. L'idée est d'utiliser les outils de la modélisation 3D et du jeu vidéo pour enrichir les expériences de visite. Ces technologies peuvent à la fois préparer un voyage, prolonger la découverte ou contribuer à la conservation du patrimoine en numérisant des sites anciens. Nous partageons des problématiques communes : comment valoriser un patrimoine exceptionnel, tout en assurant sa préservation et son accessibilité au plus grand nombre.

Au Maroc, c'est un autre visage du tourisme qui nous relie : le tourisme équestre, dans la région de Fès-Meknès. Là encore, il s'agit d'un dialogue entre cultures du cheval et valorisation des paysages. Ce projet, mené avec la Fédération Française d'Equitation, illustre bien ce que peut être un tourisme durable. Sur ces deux zones, nous souhaitons développer une approche autour des patrimoines dans leur ensemble, une approche qui permet de relier les savoir-faire de l'artisanat, de la gastronomie avec la mise en valeur des richesses naturelles et culturelles, pour un tourisme durable et équitable. Nous allons d'ailleurs lancer avec Fès-Meknès un nouveau projet nommé « métiers d'art en partage », qui impliquera des établissements de formation et des artisans des deux territoires. En Inde, à Pondichéry, le travail autour de la justice alimentaire et des circuits courts participe aussi de cette vision d'un tourisme durable et équitable, en impliquant des restaurateurs et des agriculteurs des deux territoires.

La coopération internationale repose sur la durée, la confiance, mais aussi une grande capacité d'adaptation. Quelles sont, selon vous, les principales difficultés ou évolutions auxquelles doivent faire face les territoires aujourd'hui ?

C'est vrai que la coopération, telle qu'on la pratique à l'échelle régionale, est à la fois une aventure humaine et un exercice d'équilibre permanent. Elle repose sur le temps long, sur des relations de confiance construites parfois depuis des décennies. Or, le monde va vite : les contextes changent, les acteurs se renouvellent, les crises se succèdent. Il faut donc apprendre à conjuguer la stabilité du lien et la souplesse dans les modes d'action.

Les défis sont multiples. Le premier, c'est évidemment le financement et la pérennité des projets. Beaucoup d'initiatives reposent sur des associations ou des collectivités locales dont les moyens sont contraints. La Région joue alors un rôle d'appui et de levier, pour sécuriser les actions et maintenir la continuité malgré les aléas économiques ou politiques. La coopération n'est pas un luxe : c'est une façon d'ancrer nos territoires dans le monde, de leur donner une place et une responsabilité. Le deuxième grand défi, c'est l'évolution même des relations internationales. On ne parle plus de « coopération Nord-Sud » au sens classique. Les échanges ne se résument plus à un transfert de compétences ou de savoir-faire du Nord vers le Sud. Nous sommes dans une logique d'apprentissage mutuel, de co-construction. Les partenaires du Sud innovent, inventent, résistent, expérimentent souvent plus vite que nous. Reconnaître cela, c'est déjà transformer profondément notre posture et notre manière de coopérer.

Un autre enjeu fort est celui du renouvellement des acteurs. La coopération internationale attire aujourd'hui des profils très variés : jeunes, retraités, chercheurs, entrepreneurs, collectivités, artistes, agriculteurs… Cette diversité est une richesse, mais elle demande de nouveaux cadres d'échanges, plus ouverts, plus horizontaux. C'est aussi pour cela que la Région soutient la mise en réseau des acteurs à travers Centraider et la Conférence permanente des relations internationales qu'elle anime. Nous croyons à la force du collectif : aucun acteur, seul, ne peut porter la complexité des transitions à venir.

Enfin, il y a un défi plus symbolique mais tout aussi essentiel : faire comprendre l'utilité de la coopération à nos concitoyens. Dans un monde traversé par la peur, les replis et les crises multiples, il faut redire que la coopération n'est pas une cause lointaine : elle agit sur nos vies ici, sur nos politiques publiques, sur nos façons d'habiter ensemble le monde. Quand une commune du Loiret échange avec une ville mauritanienne, quand un lycée d'Orléans accueille des étudiants étrangers, c'est tout un territoire qui s'ouvre, qui s'enrichit, qui apprend à penser plus large.
Et puis il y a, bien sûr, le défi climatique et ses enjeux sociaux. C'est celui qui relie tout le reste. Les bouleversements environnementaux ne connaissent pas de frontières et ils touchent davantage les plus fragiles : ils nous obligent à agir ensemble, à partager nos savoirs, à adapter nos pratiques. Beaucoup de nos partenaires y sont confrontés depuis longtemps. Ils ont développé des modes d'agriculture, de gestion de l'eau, d'aménagement du territoire qui peuvent nous inspirer. Dans ce sens, la coopération est un laboratoire de solutions partagées face à la crise écologique et sociale. Au fond, les difficultés sont réelles, mais elles rendent l'action d'autant plus nécessaire. La coopération, c'est accepter de ne pas tout maîtriser, et continuer à tisser des liens, même dans l'incertitude. C'est ce qui en fait une politique profondément humaniste.

Ces coopérations institutionnelles s'appuient aussi sur un tissu associatif très vivant. Quel rôle jouent les acteurs de terrain dans cette dynamique ?

Un rôle essentiel. La solidarité internationale commence toujours par un engagement local. Des citoyens, réunis autour d'une idée, d'une envie d'agir ou d'une amitié, construisent des projets concrets. Notre rôle, à la Région, est de soutenir ces dynamiques, de les accompagner dans leur structuration et dans la durée.

Nous travaillons étroitement avec le réseau Centraider, qui est un partenaire clé, pour faire monter les acteurs en compétence, les faire gagner en visibilité et en impact, tout en gardant leur ancrage humain et bénévole.

Je pense à l'association Horizons Sahel, dont j'ai récemment célébré les vingt ans. Leur parcours est exemplaire :
des bénévoles engagés, un ancrage fort dans le Vendômois, des partenariats solides, et une action concrète – notamment dans la collecte et le transfert de matériel médical vers le Sénégal et la Mauritanie, avec des formations sur place et un véritable accompagnement pour sa maintenance. C'est toute une chaîne de solidarité qui se construit, ici et là-bas.

Justement, ce lien entre ici et là-bas semble central dans votre vision de la coopération.
Oui, c'est fondamental. L'action internationale n'a de sens que si elle reste connectée à un territoire. Quand une école, une collectivité ou une association de la région s'engage à l'international, elle fait aussi grandir son environnement local : elle ouvre les horizons, sensibilise, donne envie d'agir. C'est pourquoi nous insistons sur la double dimension : l'ancrage local et l'ouverture mondiale. Cette articulation permet d'impliquer les habitants, d'éveiller les jeunes générations aux enjeux planétaires et de nourrir une culture commune de la solidarité.

La jeunesse est d'ailleurs au cœur de votre action. Comment lui donner la place qu'elle mérite dans cette coopération ?

Nous voulons que le plus grand nombre de jeunes vivent une expérience internationale, sous une forme ou une autre. Certains partiront, grâce aux dispositifs de volontariat que nous soutenons avec nos partenaires. D'autres découvriront le monde depuis leur lycée ou leur association, à travers des projets d'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.

Toutes ces expériences comptent, elles marquent des parcours personnels et professionnels. Elles ouvrent des fenêtres sur le monde, stimulent la curiosité, la tolérance et la conscience globale.
En tissant ces liens, ici et ailleurs, nous préparons une génération capable d'agir pour la paix, dans un monde interdépendant.


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