Publié le 10/07/2025
Un article issue de la revue n°56 “Visages d’Asie”
Photo : Dégustation de mil / Bertrand Sajaloli
Un article de Bertrand Sajaloli et Laura Verdelli
Diligenté par le Conseil régional Centre-Val de Loire, porté par le laboratoire CEDETE (Centre d'Études sur le Développement des Territoires et l'Environnement) de l'université d'Orléans, en collaboration étroite avec le laboratoire CITERES de l'université de Tours, le programme de recherche
PATAMIL est consacré à la justice alimentaire dans le Tamil Nadu et dans notre région.
Dressé par les chercheurs du CEDETE, de CITERES, de l'Institut Français de Pondichéry, des universités indiennes de Madras et de Pondichéry, mais aussi par les structures dédiées (Resolis, réseau ALERTE, IEHCA, réseau Inpact, Dhan Foundation, Secours Catholique…), un premier constat est celui d'une alimentation à deux vitesses :
L'objectif de PATAMIL est de lutter contre ce système au nom de la démocratie, de la justice et de l'équité alimentaires.
Un deuxième constat repose sur la nécessité d'une recherche-action opérationnelle visant à repérer les initiatives offrant aux populations peu aisées, voire démunies, des produits de qualité et soucieuse d'impliquer les territoires concernés (Pays des Châteaux, PETR Centre-Cher et Gâtinais-Montargois, département du Loiret, secteurs indiens de Pondichéry, Madurai et Jawadhu Hills).
Un troisième réside dans l'identification d'angles morts dans la recherche sur l'injustice et l'équité alimentaires. En effet, peu nombreux sont les travaux scientifiques sur la démocratie alimentaire attendant des retombées opérationnelles. Cette tâche vise, à partir des travaux effectués, en synergie avec les réseaux existants et à partir des résultats franco-indiens de PATAMIL, à dresser tout à la fois une mise au point épistémologique des termes utilisés, mais plus encore à identifier des pistes concrètes de remédiation.
Un quatrième constat partagé s'articule autour des bienfaits de croiser regards et expériences entre terrains lointains. L'innovation n'étant pas le seul apanage des pays du Nord, et ce tant sur le plan des politiques alimentaires que des stratégies des acteurs locaux pour construire des circuits de qualité et équitables, l'exemple du Tamil Nadu est significatif. En outre, cet état du Sud de l'Inde étant l'une des régions prioritaires de la politique de coopération décentralisée de la Région Centre Val de Loire, ces échanges sont nourris par de longues et fécondes interrelations. Centraider, fortement impliqué dans le projet, favorise également les liens entre les associations et les structures de solidarité internationale qui s'investissent dans le Tamil Nadu, comme A.S.I.E., aussi bien qu'entre les chercheurs et les organismes œuvrant pour la justice alimentaire.
L'objectif est également d'impliquer via CentreSciences, A.S.I.E. et l'IEHCA, les jeunes des deux régions (étudiants de toutes les universités, dont ceux de français de l'université de Pondichéry, élèves du Lycée en Forêt de Montargis et du Lycée agricole Franz Stock de Mignières…) dans des échanges solidaires multiculturels portant sur les habitudes alimentaires, sur le patrimoine alimentaire et gastronomique et sur l'équité alimentaire. Public éloigné ou empêché, ces jeunes sont partie prenante de PATAMIL. Considérés comme les acteurs de l'alimentation de demain, ils deviennent de co-constructeurs privilégiés des contenus du projet.
Les actions conduites par PATAMIL et les résultats, tant scientifiques qu'opérationnels, de la recherche sont consultables sur le site porté par Centraider (www.centraider.org). Nous n'en reprenons pas le détail, tous les travaux réalisés étant téléchargeables à partir du site. Trois pistes concrètes s'en dégagent :
La réintroduction des millets, céréales traditionnelles de l'Inde du Sud, est porteuse d'espoir tant pour la santé des Indiens — le riz issu de la Révolution verte ayant diffusé le diabète qui touche près de 20% de la population — que pour le développement des communautés rurales en difficultés et le futur des ressources de la planète. L'objectif est donc de remettre en valeur certaines cultures céréalières traditionnelles qui présentent l'avantage d'être très robustes face au changement climatique et peu dépendantes de l'irrigation et des produits phytosanitaires. Ce retour aux cultures anciennes améliore également la sécurité alimentaire des paysans indiens ainsi que la santé globale d'une population qui consomme beaucoup trop de glucides transformés. Cependant, la consommation de millets reste aujourd'hui marginale. Leur image s'est dégradée car ils sont associés à des terres peu fertiles et à des populations socialement marginalisées, comme celle des communautés tribales des Jawadhu Hills minutieusement étudiées par le projet. La relance de ces cultures doit donc s'accompagner d'un travail de sensibilisation et de revalorisation culinaire. Il s'agit de raviver l'intérêt pour les plats à base de millets en s'appuyant sur le patrimoine gastronomique local, afin d'aligner l'offre avec une demande renouvelée, notamment au sein de la classe moyenne. Par effet boomerang, cette réintroduction pose aussi la question de la qualité de l'alimentation en France et du retour d'une agriculture saisonnière de proximité, en circuit court.
Photo : Rencontre entre agriculteurs et chercheurs lors du Locale Food System en 2023 / Bertrand Sajaloli
L'objectif de PATAMIL est de lutter contre ce système au nom de la démocratie, de la justice et de l'équité alimentaires.
L'organisation de l'aide alimentaire dans le Tamil Nadu constitue une référence inspirante pour la Région Centre-Val de Loire au moment où le modèle français, essentiellement animé par des associations, ne parvient plus à satisfaire les quelques 8 millions de personnes bénéficiant de l'aide du fait de plusieurs difficultés majeures qui fragilisent son fonctionnement. D'abord, les dons diminuent à cause des difficultés économiques mais aussi, paradoxalement, des récentes politiques anti-gaspillage. Ensuite, il y a un vrai déséquilibre dans les types de produits collectés, les dons ne garantissant ni la diversité des produits, ni leur qualité nutritionnelle. Enfin, le système induit une concurrence absurde entre les associations pour récupérer et redistribuer les dons. Il repose aussi en partie sur des bénévoles retraités dont le vivier s'étiole. Le constat est donc alarmant, la France, parmi les pays les plus riches du monde, enregistrant chaque année une augmentation sensible du nombre de demandeurs d'une aide alimentaire. En Inde, au contraire, c'est l'État qui par le système Public Distribution System permet aux ménages de faibles à accéder à prix fixe et incitatif aux denrées les plus courantes, principalement le riz, et aux produits d'hygiène. Le système tend aussi à diversifier les produits en incluant des céréales traditionnelles. Au moment où l'incitation à lancer en France une Sécurité Sociale Alimentaire est forte, où il apparaît que c'est à l'État et non aux associations de prendre en charge l'aide alimentaire, l'exemple indien, malgré ses imperfections, est un modèle.
La complexité des systèmes alimentaires, et par là l'avènement d'une meilleure justice alimentaire, suppose des actions conjointes entre tous les acteurs de la filière, du producteur au consommateur, en passant par tous les intermédiaires (marchands et transporteurs, restaurateurs, services de l'état et des collectivités territoriales, associations et ONG…). PATAMIL distingue ainsi :
L'alimentation durable qui propose une approche globale interconnectant les enjeux de production, de transformation, de modes de distribution, de consommation et qui réaffirme la nécessité de considérer l'ensemble de pratiques et de choix alimentaires respectant des critères environnementaux, éthiques (accessibilité pour tous à une alimentation de qualité ; rémunération équitable des agriculteurs ; respect du bien-être animal…), et de santé (qualité nutritionnelle et sécurité sanitaire).
La démocratie alimentaire qui revendique le droit à l'alimentation durable pour tous. Elle est définie comme la possibilité pour les citoyens de décider de façon autonome de leurs choix d'alimentation et de mettre en place des actions, des filières alimentaires, qui convoquent l'ensemble des parties prenantes pour favoriser la participation, la prise de décision des citoyens, y compris lorsqu'ils sont en situation de précarité alimentaire.
La justice alimentaire qui est le partage équitable des bénéfices et des risques concernant les produits et la façon dont la nourriture est produite, transformée, transportée, distribuée, accessible et mangée. Elle privilégie une approche équilibrée entre les exigences de justice socio-économique pour les producteurs agricoles et celles d'accessibilité à une alimentation de qualité pour les consommateurs défavorisés. Elle concerne la capacité à avoir accès à une alimentation de qualité grâce à des processus de gouvernance favorisant l'empowerment des populations pour exercer une citoyenneté alimentaire et agricole privilégiant des systèmes d'aide alimentaire qui préfèrent la justice à la charité et qui reconnectent les difficultés de certains agriculteurs avec des besoins alimentaires locaux mal satisfaits.
Derrière les formules « Du champ à l'assiette », « From farms to fingers », se déploient de véritables stratégies innovantes que Patamil a suivies. L'identification des blocages culturels, davantage qu'économiques, impliqués dans la mauvaise alimentation, le poids des règlementations, la segmentation des acteurs et des filières… trouvent des réponses dans la mise en place des PAT (Projets Alimentaires Territoriaux) et des tiers-lieux nourriciers. Les initiatives indiennes comme les Local Food Systems initiées par des ONG comme la Dhan Foundation ou par des organismes de recherche comme l'Institut Français de l'Environnement (IFP) constituent également des références pour notre région. Il s'ensuit de nombreux échanges initiés par Patamil, notamment lors du Local Food System Festival qui se tient chaque année à Pondichéry sous l'égide l'IFP. Ces échanges s'inscrivent dans une dynamique de coopération décentralisée entre le Tamil Nadu et la Région Centre-Val de Loire, comme l'atteste la fréquence des visites en Inde du Sud des délégations régionales, composées d'élus, des personnes appartenant aux services du Conseil régional mais également des acteurs de l'alimentation, y compris d'ambassadeurs de la marque C du Centre.
Dans ce regard croisé sur la justice alimentaire dans le Tamil Nadu et dans notre région, ce qui est étonnant, c'est que, par-delà l'ampleur des différences culturelles et socioéconomiques, il y a une similitude certaine des moteurs des difficultés et des solutions trouvées, tant par les acteurs locaux que par les instances officielles. Patamil apporte ainsi une nouvelle preuve que la coopération décentralisée enrichit mutuellement les territoires qui nouent ensemble des relations étroites. Favorisant le dialogue interculturel, notamment entre les jeunes des deux pays, Patamil contribue à la lutte contre le repli sur soi et la méfiance de l'autre. La qualité des travaux des jeunes du Lycée en Forêt de Montargis et du Lycée agricole Franz Stock de Mignières, leur enthousiasme à découvrir d'autres cultures et à échanger avec leurs camarades de Pondichéry, ont constitué, pour les responsables du projet, Bertrand Sajaloli et Laura Verdelli, une grande joie.
Photo : Un paysage agricole dans le Jawadu Hills
Dans ce regard croisé sur la justice alimentaire dans le Tamil Nadu et dans notre région, ce qui est étonnant, c'est que, par-delà l'ampleur des différences culturelles et socioéconomiques, il y a une similitude certaine des moteurs des difficultés et des solutions trouvées, tant par les acteurs locaux que par les instances officielles.
CENTRAIDER est un réseau régional multi-acteurs, au service de toutes les structures engagées dans des projets de coopération décentralisée et/ou de solidarité internationale (collectivités territoriales, associations, établissements scolaires, hôpitaux, universités, etc.). CENTRAIDER s'est fixé pour objectif l'amélioration des pratiques des acteurs de la coopération et la solidarité internationale.
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