Publié le 09/12/2025

Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”
Photo : Rencontres Eau Sénégal-Togo-Drôme en 2024 / GRET
Une interview de Marilou Gilbert
Marilou Gilbert est Responsable de programme « Communs et Gouvernances Partagées – Eau, forêts, services et territoires » au GRET
Certains parlent des Communs comme d'une façon de penser la société en sortant du tout Etat ou du tout privé et en remettant les usagers, les citoyens au cœur des prises de décisions. D'autres insistent sur la gestion collective ou le libre accès. Différents courants et théories autour des communs ont en effet vu le jour depuis qu'Elinor Oström, première femme à avoir reçu le Prix Nobel d'Economie en 2009, a réactualisé le sujet dans les années 1990.
Quant à l'approche par les communs, il y a autant de manières de la formuler que d'organisations qui la formulent. Au Gret, elle est à la fois : une intention politique, celle d'accompagner des formes d'organisation en commun qui associent citoyens, pouvoirs publics et acteurs privés ; le fait de mobiliser les cadres conceptuels des communs pour mieux analyser et appuyer des actions collectives dans les territoires ; et la volonté d'expérimenter des méthodes, des outils et des stratégies pour accompagner des organisations citoyennes à formuler et mettre en œuvre des règles et une gouvernance partagée autour du bien commun qui les concerne.
Ce qui préexistait correspondait parfois à des formes de gestion communautaire de ressources naturelles, certaines incluant la préservation de celles-ci. Les formes de commun que l'on accompagne sont un peu différentes. Elles sont plus élargies et sortent du seul cadre communautaire. Par exemple, au Sénégal, une loi de 2014 sur les services d'eau potable en milieu rural en a fait passer la gestion au secteur privé, remplaçant les anciennes associations d'usagers qui assuraient, aux côtés des collectivités locales, une forme de gestion communautaire de l'eau potable. L'approche par les communs consiste à appuyer ces associations à reprendre une place dans le contrôle et la gouvernance du service, aux côtés de l'Etat et du secteur privé, à travers la mise en place de comités locaux de suivi. Les associations y relaient les plaintes et partagent les problèmes identifiés. Ce sont aussi des espaces de redevabilité de la part de l'opérateur privé et de l'Etat vers les usagers.
On peut travailler à différentes échelles, certaines plus macro et d'autres très locales. Par exemple à Luang Prabang, pour préserver son réseau de zones humides, on a accompagné la mise en place d'un premier comité de gestion autour de la mare urbaine de Ban Mano. Quelques habitants se sont mobilisés pour le créer. Puis on a appuyé la formation d'autres comités pour qu'ils couvrent tout le réseau et qu'ils deviennent force motrice dans la gouvernance à l'échelle du territoire dans son ensemble. L'objectif est à chaque fois de renouer ou faciliter les relations entre citoyens et pouvoirs publics autour de la préservation d'un objet de commun.
Oui, en passant par beaucoup d'expérimentations qui ont fait évoluer l'approche. Avant de formaliser notre programme sur les Communs, des équipes du Gret accompagnaient déjà des associations, des systèmes de gestion communautaire ou concertée etc. mais la gouvernance partagée n'était pas la première entrée. Il existait aussi des écrits et recherches sur les Communs d'autres organisations comme le CIRAD, la Coop des communs ou l'AFD qui a un département de recherche dédié.
En creusant, on a identifié les Communs comme un terreau pertinent pour réfléchir autant au niveau opérationnel que pour aller plus loin sur l'intention politique qu'on porte. Nous ne voulions pas seulement parler de gestion participative, avec le caractère instrumental que porte parfois le terme de participation vis-à-vis du « projet ». Nous souhaitions nous positionner de manière plus extérieure, comme facilitateurs engagés, pour accompagner des modes de gouvernance partagée co-construits et qui perdurent sur le long terme, avec une implication directe des usagers dans les prises de décision.
La formulation de l'approche par les communs s'est fondée à la fois sur l'expérimentation très concrète de méthodes (jeux sérieux, focus groupes, diagnostics partagés) à Madagascar, au Sénégal, au Togo ou encore au Laos et en Haïti, et des réflexions plus théoriques sur la façon dont les Communs pouvaient inspirer nos postures et méthodes d'intervention et les rendre plus transformatives.

Photo : Suivi qualité de l'eau PLE Sénégal en 2024 / GRET
Différents courants et théories autour des communs ont en effet vu le jour depuis qu'Elinor Oström, première femme à avoir reçu le Prix Nobel d'Economie en 2009, a réactualisé le sujet dans les années 1990.
En effet. En 2019, ces allers-retours entre recherche et action se sont traduits par ce programme « Communs et gouvernances partagées », conçu sur 9 ans et cofinancé par l'AFD. Il concerne aujourd'hui une quinzaine de projets où les équipes, intervenant depuis longtemps dans ces territoires, expérimentent une approche par les communs. On ne parle d'ailleurs pas de projets, mais de situations d'action où se déroulent plusieurs projets successifs, pour former un processus de temps long.
La Plateforme citoyenne PCADDISM à Sainte-Marie par exemple, accompagnée depuis 10 ans, a peu à peu évolué et est maintenant au cœur de la mise en place d'une aire protégée cogérée avec l'Etat, les collectivités et le secteur privé, notamment les hôteliers et le secteur touristique. Elle sera co-décisionnaire pour concilier préservation de la biodiversité, développement et vivre ensemble. Elle a aussi fait reconnaître les dina – conventions locales qui régissent les relations entre les humains, les ancêtres et le vivant sur l'île – et exerce un contre-pouvoir sur les questions environnementales au quotidien. L'approche par les communs permet d'appuyer cela aussi.
À partir de toutes ces expériences, le programme vise à rendre cette approche appropriable par d'autres acteurs de la coopération et de la solidarité internationale, que ce soit dans le cadre de l'APD ou en France. Mais l'approche par les communs n'est pas une recette toute faite qu'on peut répliquer telle quelle. On a bien sûr essayé de monter en généralité pour en tirer certains leviers opérationnels sur comment accompagner l'action collective, les règles, le suivi réflexif, mais ils doivent être déclinés au cas par cas.

Photo : Vote des règles de l'aire protégée Sainte-Marie en 2024 / GREF
Un commun est une forme d'organisation sociale dynamique. La façon dont on définit l'idéal type des communs, c'est par l'action collective de ses membres face à un besoin, une menace ou un désir de faire ensemble, et par sa gouvernance partagée […] pour préserver équitablement une chose commune.
Un commun est une forme d'organisation sociale dynamique. La façon dont on définit l'idéal type des communs, c'est par l'action collective de ses membres face à un besoin, une menace ou un désir de faire ensemble, et par sa gouvernance partagée apprenante qui définit et met en œuvre des règles jugées justes pour préserver équitablement une chose commune.
Par exemple au Sénégal, dans la zone des Niayes, une dynamique de commun a émergé suite à la prise de conscience de l'urgence à inverser la tendance à la surexploitation des nappes souterraines. Les usagers décident alors de se concerter et de mettre en place des actions concrètes pour protéger la ressource, notamment à travers les plans locaux de gestion intégrée des ressources en eau qu'ils ont élaboré à l'échelle des communes.
Dans un commun, les règles autour d'une forêt, d'un bassin-versant ou d'un service doivent viser à la fois la préservation de celui-ci mais aussi la dimension d'équité et de justice sociale. Tout l'enjeu est donc de concilier les deux dimensions. Les assises des marais de Bourges constituent un bel exemple de commun, où les usagers ont été mobilisés aux côtés de la collectivité et des services de l'Etat pour décider ensemble des actions à mettre en œuvre pour préserver et valoriser les marais.
Elle nous amène à faire évoluer notre posture d'opérateur à celle de facilitateur engagé. Elle nous pousse donc à questionner et repositionner nos pratiques habituelles en les focalisant sur la gouvernance et les interdépendances sociales et environnementales, en plus de l'aspect technique, comme les infrastructures. C'est transformatif et ça nous amène à questionner aussi les outils qu'on utilise car une dynamique de commun se construit vraiment sur le temps long. On parle de transformation sociale, de mobilisation citoyenne, de réglementations qui font intervenir une grande diversité d'acteurs donc ça prend beaucoup de temps et il y a un caractère politique dans ces actions. Or, les outils qu'on utilise généralement, notamment le projet, son cadre logique, ses procédures, et ses exigences d'impact tangible sur un temps court, sont peu en phase avec l'approche par les communs. Nous, on ne parle pas de bénéficiaires du projet mais d'acteurs de la gouvernance. Il est donc nécessaire d'adapter ces outils et notre posture pour que l'approche par les communs soit possible.

Photo : Réserve naturelle de Pu Luong au Vietnam / GREF
Elle nous amène à faire évoluer notre posture d'opérateur à celle de facilitateur engagé. Elle nous pousse donc à questionner et repositionner nos pratiques habituelles en les focalisant sur la gouvernance et les interdépendances sociales et environnementales, en plus de l'aspect technique […]
Oui, et on l'a vu lors des rencontres sur l'eau « Faire commun ici et ailleurs », organisées en 2024 avec la Fondation de France et l'association Remix the Commons. Elles croisaient une quinzaine d'expériences de gouvernance partagées de l'eau du Togo, du Sénégal et de France. Elles ont mobilisé des élus (de communes rurales des Niayes, du Lac Togo et de la Drôme, et des villes de Lyon, Grenoble et Paris), des associations comme les Plateformes de l'eau au Sénégal, Eau et Rivières de Bretagne, Entrelianes, le Parlement de Loire, et des chercheurs. Les participants ont pointé le fait qu'il y a des constats partagés en termes d'urgences liées à l'eau, mais aussi de manières d'y répondre en repensant les modalités de gouvernance de l'eau par le prisme des communs.
Avec le dérèglement climatique, tous les conflits d'usage et les tensions s'exacerbent et tous s'accordent sur la nécessité de ramener les citoyens dans les prises de décision. Les acteurs français présents disaient à la fin des rencontres « on a besoin d'apprendre des pratiques dans les Suds, pour gagner du temps ! ».
L'approche par les communs a permis de montrer qu'il y avait de vraies complémentarités entre les pouvoirs publics et les usagers, quel que soit le territoire. Dans la zone des Niayes, le maire de Mont-Rolland qui participait aux rencontres dit que les plateformes locales de l'eau sont des moyens de résoudre des problèmes que la mairie ne pourrait pas gérer seule. Elles ne peuvent pas se substituer à l'action publique mais peuvent la compléter en co-produisant des décisions.
L'approche par les communs permet d'ouvrir des marges de manœuvres et d'expérimenter pour trouver le système de gouvernance le plus adapté à chaque situation et le faire évoluer collectivement.
CENTRAIDER est un réseau régional multi-acteurs, au service de toutes les structures engagées dans des projets de coopération décentralisée et/ou de solidarité internationale (collectivités territoriales, associations, établissements scolaires, hôpitaux, universités, etc.). CENTRAIDER s'est fixé pour objectif l'amélioration des pratiques des acteurs de la coopération et la solidarité internationale.
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