La fracture de l'aide : redéfinir la coopération internationale dans un monde instable

Publié le 09/12/2025

Coopération Internationale

Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”

Photo : Sarai Carracso /Pexels

Un article d’Aladji Madio Diop

Aladji Madio Diop est Chef du département Développement durable à l'Université Alioune Diop de Bambey, Sénégal

Dans un monde marqué par des crises multiples, la coopération internationale se trouve dans un tournant décisif. Longtemps considérée comme un essentiel de solidarité et de développement, elle est aujourd'hui mise à l'épreuve par la complexité croissante des contextes d'intervention, la fragilisation du multilatéralisme et la montée des inégalités. Les guerres, les catastrophes naturelles, les pandémies et les instabilités politiques nous rappellent la nécessité d'agir collectivement, mais quelles sont les clés pour continuer d'agir dans un contexte aussi trouble ?

Répondre à cette question implique de repenser les fondements mêmes de la coopération internationale qui, aujourd'hui, est interrogée dans ses pratiques, ses représentations et ses impacts réels. Cela pousse aussi à réfléchir sur la manière dont la solidarité internationale est perçue, vécue et pensée depuis les pays dits « du Sud ».

L'ère des crises mondiales

Les années 2000 ont vu le monde secoué par plusieurs crises d'ordre économique, environnemental, sanitaire et politique. Une de ces crises majeures est la pandémie de COVID-19 dont les effets continuent de se faire sentir à l'échelle mondiale aujourd'hui. Cette crise a eu des conséquences économiques majeures et a exacerbé les profondes inégalités sociales existantes. D'après le rapport publié en 2022 par la Banque Mondiale (BM), « la pauvreté a augmenté pour la première fois en une génération, et les pertes de revenus disproportionnées parmi les populations défavorisées ont entraîné une hausse spectaculaire des inégalités dans et entre les pays. »1

Cette situation a mis en évidence la vulnérabilité structurelle de millions de personnes vivant déjà dans la précarité, notamment dans les pays dits du « Sud ».
Les populations de ces pays, souvent dépendantes d'emplois informels ou de revenus instables, ont été durement touchées par les restrictions sanitaires. De plus, la pandémie a révélé la fragilité des systèmes de santé et la dépendance aux chaines d'approvisionnement mondiales.
Le mot dépendance prend tout son sens lorsqu'on aborde les dernières nouvelles du monde de la coopération avec la coupure de l'aide de l'USAID. Elle a commencé par un gel de l'aide début 2025 et a été un choc majeur pour la coopération internationale et les pays bénéficiaires. Cette subvention représente en effet 40% de l'aide humanitaire2. Les États-Unis étant l'un des donateurs majeurs de l'aide internationale avec un montant approximatif de 72 milliards de dollars3, l'arrêt de leurs subventions a des répercussions considérables, surtout pour les pays dont certains pans de budget en dépendent. Les conséquences auxquelles ils doivent faire face illustrent un état de dépendance profonde (Ibid., p.223). Cette situation soulève des questions essentielles sur la durabilité des modèles actuels de coopération et la nécessité de repenser les relations entre donateurs et bénéficiaires, afin de construire une coopération fondée sur le renforcement des capacités, la souveraineté économique et la responsabilité mutuelle plutôt que sur une logique d'assistance.

Les clés qui redéfinissent la coopération internationale

La coopération internationale évolue dans un environnement mondialisé troublé par les crises contemporaines. Pour continuer d'agir, il est important d'adapter et renforcer la flexibilité des approches. Il faut appliquer des pratiques capables de s'ajuster aux incertitudes en intégrant les savoirs locaux et éviter les interventions standardisées, souvent inefficaces. Il faut adopter une logique d'apprentissage permanent et d'ajustement constant, mais aussi d'une gouvernance flexible ancrée dans les réalités locales. Il faut également miser sur des partenariats pluri-sectoriels tel que décrit par l'ODD 17.
Le cas d'Haïti est un bon contre-exemple, en pointant les conséquences d'une coopération déconnectée du terrain. Dans son ouvrage, Roselyne Lamartinière illustre comment, à la suite de l'ouragan Matthew, de nombreuses ONG internationales ont agi sans réelle consultation ni entre elles, ni avec les autorités locales. Ce qui a mené à une « dépendance structurelle de l'aide et à une perte d'autonomie des populations »4. Cette situation a fait qu'Haïti ait longtemps été appelée la « République des ONG » (Ibid., p.182). D'où, l'importance d'avoir un plan global de la part des ONG avant leur intervention et des partenariats locaux qui ne constituent pas seulement un moyen d'adaptation, mais une clé de légitimité et de durabilité de la coopération internationale.

Un autre point à aborder est la résilience des organisations et des communautés locales. Que ce soit en action humanitaire ou dans un processus de développement renforcé, la résilience de la communauté locale permet d'avoir des résultats plus durables sur le long terme, d'où l'importance de transmettre des compétences pour rendre les personnes autonomes. Le cas d'Haïti est encore une fois un contre-exemple car basé sur une logique d'urgence matérielle à court terme et d'assistance au lieu d'autonomisation des personnes sur le long terme (Lamartinière, 2019 :197).

Photo : Stephen Leonardi / Pexels

La résilience déjà existante nécessite, pour être renforcée, un processus de coopération basé sur le renforcement des capacités, la participation des acteurs locaux dans les prises de décision et l'appropriation des interventions par les communautés elles-mêmes. Pour qu'une coopération internationale soit réellement performante, elle doit valoriser les savoirs locaux, favoriser le leadership communautaire et soutenir des actions de développement durable. La résilience devient, alors, non seulement un objectif, mais aussi un cadre d'intervention pertinent pour une solidarité juste, efficace et pérenne.

La coopération internationale doit être un espace d'apprentissage collectif et de transformation sociale. En ce sens, les crises actuelles ne doivent pas être perçues comme des obstacles, mais comme des opportunités pour repenser les pratiques de solidarité internationale. Continuer d'agir dans un contexte trouble, c'est renforcer la résilience des institutions et des populations, rétablir la confiance entre acteurs et faire de la coopération non pas un instrument d'assistance, mais un levier de développement durable et partagé, conformément à l'esprit de l'Agenda 2030 des Nations Unies.

La perception de la solidarité internationale dans les pays dits « du Sud »

La solidarité internationale est perçue de manière complexe dans les pays dits « du Sud ». Elle peut être considérée comme une opportunité de développement et de renforcement des capacités, mais elle est aussi critiquée pour ses approches descendantes et paternalistes, héritées des rapports historiques de colonialisme. Cette idée rejoint l'analyse de Boussichas concernant les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui ont été remplacés par l'Agenda 2030. Pour lui, les OMD ont été perçus par beaucoup comme « un agenda du Nord pour le Sud, conditionnant ainsi l'aide des pays riches au respect par les bénéficiaires de la mise en œuvre de politiques copiées sur sa vision de ce qu'est le « bon développement »5. Cette perception influence la manière dont les communautés locales accueillent ou contestent les interventions internationales.

Les projets humanitaires et de développement sont appréciés lorsqu'ils répondent réellement aux besoins locaux et renforcent les capacités locales. Cependant, si l'approche n'est pas stratégique, ils peuvent aussi créer une dépendance ou reproduire des inégalités. Dès lors, cette expérience nourrit une pensée selon laquelle la solidarité internationale doit être participative et doit être envisagée comme un processus de coopération réciproque. Ainsi, elle est évaluée selon sa capacité à renforcer l'autonomie, respecter l'expertise locale et promouvoir un développement réellement inclusif et durable.

Conclusion

Face aux nombreuses crises et à la reconfiguration profonde des rapports internationaux, la coopération internationale est aujourd'hui à un tournant. Les exemples récents ont prouvé les limites des approches traditionnelles centrées sur l'assistance descendante et la dépendance envers l'aide extérieure. Les contextes d'instabilité exigent désormais des modèles plus flexibles, inclusifs et établis sur les réalités locales, où la résilience des communautés, la construction de partenariats équitables et la valorisation des savoirs endogènes deviennent des leviers essentiels. C'est dans cette transformation que réside la possibilité d'une coopération internationale plus juste, efficace et porteuse d'avenir.

1 Groupe Banque Mondiale (2022). Chapitre 1. Répercussions économiques de la crise de la COVID-19. Rapport sur le développement dans le monde 2022.
2 Sampson, X. (2025). Pourquoi Trump veut-il couper l'aide étrangère et quelles conséquences cela aurait-il? Radio-Canada Info.
3 Mbah, R. E., Hardgrave, C. M., Mbah, D. E., Nutt, A., & Russell, J. G. (2025). The Impact of USAID Budget Cuts on Global Development Initiatives: A Review of Challenges, Responses, and Implications. Advances in Social Sciences Research Journal, 12(04). 219-232.
4 Lamartinière, R. (2019). Catastrophe naturelle, aides humanitaires et intervention des ONG face aux besoins réels de la population haïtienne : Un regard critique sur la commune des Abricots. Journal of Haitian Studies, 25(2), 182-205.
5 Boussichas, M. (2019). Des Objectifs du Millénaire pour le développement à l'Agenda 2030. Dans P. Beaudet et al. (dir.), Enjeux et défis du développement international (pp. 53-61). Ottawa : Presses de l'Université d'Ottawa.


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