Entreprises et développement : quand la coopération devient un levier durable

Publié le 09/12/2025

Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”

Photo : Asid Kelo

Un entretien réalisé avec Jean-François Fillaut

Jean-François Fillaut est Directeur de la SCOP ESPERE et également administrateur de Centraider.

La SCOP ESPERE est un cabinet coopératif engagé dans les transitions sociales et environnementales depuis 2004 :
c'est une entreprise singulière ancrée localement mais tournée vers le monde qui fait, du lien entre économie, solidarité et développement durable, son moteur d'action.
Depuis plus de quinze ans, ESPERE met cette approche en pratique, notamment à travers sa filiale sénégalaise PROPLAST Industrie au Sénégal, qui associe acteurs publics, privés et associatifs autour d'un objectif commun : transformer la gestion des déchets en levier de développement territorial.

Les dynamiques de développement international évoluent aujourd'hui vers une approche plus intégrée, où collectivités, ONG, associations et entreprises apprennent à conjuguer leurs compétences. Dans ce mouvement, les acteurs économiques ne remplacent pas les dispositifs existants : ils les complètent, en apportant des savoir-faire techniques, une logique de durabilité et de pérennité financière, et une capacité d'innovation qui leurs sont propres.
C'est dans cet esprit que la SCOP ESPERE, société coopérative engagée dans la transition écologique et sociale, s'est associée à des partenaires sénégalais pour contribuer à la structuration de PROPLAST Industrie, première société ouest-africaine de recyclage du plastique.

Ce projet illustre comment un acteur économique peut contribuer à des dynamiques locales de développement, en travaillant en synergie avec les ONG, les collectivités et les institutions publiques : « Notre approche consiste à construire des passerelles entre des mondes qui, longtemps, ont évolué séparément. L'entreprise n'est pas un acteur extérieur au développement : elle en est une composante à part entière », explique Jean-François Fillaut,
directeur d'ESPERE.

Un projet né de la coopération entre acteurs locaux et internationaux

PROPLAST trouve son origine dans une initiative portée par des groupements féminins de Thiès au Sénégal à la fin des années 1990, appuyée par l'ONG italienne LVIA. Face à la pollution plastique qui compromettait leurs activités agricoles, ces femmes ont mis en place des actions de collecte et de valorisation des déchets.

Dix ans plus tard, le projet a gagné en ampleur et nécessite un accompagnement technique et économique. Après un appel de marché, c'est ESPERE qui rejoint alors la démarche pour en garantir la pérennité, tout en préservant son ancrage social.

En 2010, la création de PROPLAST Industrie marque une nouvelle étape : celle d'un partenariat équilibré entre acteurs du Nord et du Sud, entre économie et solidarité. L'entreprise devient rapidement une référence dans le domaine du recyclage au Sénégal, contribuant à structurer une filière locale et à professionnaliser des centaines de collecteurs.

Décloisonner les pratiques pour renforcer les territoires

Pour ESPERE, ce projet illustre l'importance du décloisonnement : « La coopération n'a de sens que si elle relie les acteurs économiques, institutionnels et communautaires. Chacun agit depuis sa compétence, mais c'est la mise en réseau qui fait la différence », souligne Jean-François Fillaut.

Cette approche systémique a permis de tisser un dialogue entre PROPLAST, les collectivités locales et l'État sénégalais. Après plusieurs années d'échanges et de plaidoyer, l'entreprise signe en 2025 une convention avec la SONAGED, la Société nationale de gestion des déchets, intégrant ainsi la gestion des plastiques recyclés dans la politique publique nationale.

Cette reconnaissance ouvre la voie à un changement d'échelle. PROPLAST élargit son activité à la gestion de l'ensemble des déchets non dangereux (plastiques, cartons, métaux, biodéchets) à travers la création d'une nouvelle entité : SOGEVADE, Société de gestion et de valorisation des déchets. Un projet pilote a été lancé à Thiès. Au total, ce sont près de 200 emplois directs et plus de 2 000 emplois indirects qui ont été créés dans la filière.

Vers un modèle de développement partagé

Au-delà du recyclage, ESPERE défend une vision : celle d'une valeur partagée entre les pays du Sud et les pays du Nord. « Travailler à la fois depuis la France et depuis le Sénégal nous permet de créer des ponts entre territoires. Nous mobilisons des financements et des expertises dans les deux sens », précise Jean-François Fillaut.

L'entreprise coopérative participe ainsi à des projets d'innovation technique, tout en accompagnant des territoires français dans leurs propres transitions. « Sur la question du plastique, beaucoup d'entreprises africaines ont une longueur d'avance, parce qu'elles ont dû s'adapter à la rareté des ressources. Elles maîtrisent mieux la réutilisation et la circularité. Ce sont des savoirs précieux pour nos modèles européens. La France dépasse le milliard d'euros d'amendes auprès de l'Europe car nous n'arrivons pas à recycler suffisamment les plastiques. Ce sont des savoirs précieux dans notre contexte écologique et encore plus dans un contexte où les budgets nationaux sont contraints. »

Cette logique de réciprocité s'applique aussi aux politiques climatiques. ESPERE accompagne aujourd'hui les villes de Grenoble et de Marseille dans leurs démarches climat, en valorisant les expériences d'adaptation développées dans les pays du Sud, souvent confrontés plus tôt aux effets du changement. « On parle beaucoup de transfert de compétences du Nord vers le Sud. Mais il existe aussi un transfert inverse, tout aussi essentiel. C'est cela, la coopération moderne : une relation d'égal à égal. »

L'entreprise, un acteur de la coopération internationale

Au fil du temps, ESPERE a démontré qu'une entreprise peut être un vecteur d'innovation sociale et environnementale dans les politiques de développement. « Travailler à la frontière de l'économie et du développement, c'est sortir des logiques de guichet pour construire des solutions ancrées dans la réalité des territoires », résume Jean-François Fillaut.

Par exemple, il se souvient du Plan Climat Territorial Intégré de la région de Dakar, mené avec la Région Île-de-France : « Ce programme avait embarqué entreprises, collectivités et société civile dans une même dynamique. Les échanges entre acteurs du Nord et du Sud ont permis de concevoir des actions locales concrètes, reproductibles ailleurs. C'est ce type d'expérimentation qu'il faut encourager. »
Pour autant, il constate que l'implication du secteur privé dans la coopération reste encore limitée : « Les entreprises ont un rôle à jouer, mais elles doivent s'y sentir légitimes. La coopération économique n'est pas incompatible avec l'intérêt général : elle peut au contraire en être le moteur. »


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