David Blough : “Ce n'est pas le ballon qui éduque, c'est l'éducateur”

Publié le 04/07/2024

Photo : Nelson Rosier Coulhon / David Blough

David Blough est un expert du secteur humanitaire et de l'économie sociale et solidaire. Après avoir dirigé PLAY International, une ONG pionnière de l'innovation sociale par le sport, il a fondé 10, une entreprise qui accompagne les organisations dans le domaine de l'impact social pour le sport. Il est l'auteur de deux essais aux éditions Rue de l'échiquier : Sportwashing. Que sont devenues les valeurs du sport ? (2020) et Le Sport des solutions. Voyage en terre des possibles (2023, 2024). Il réalise le film tiré du livre en mai 2024.

Le film montre le parcours de vie de Femmes et d'Hommes de Rio, Paris, Thiès, Fribourg et Muizenberg. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

David Blough : Ce film est un voyage, une immersion, et une rencontre auprès de femmes et d'hommes qui utilisent le sport de manière innovante d'un point de vue sociétal. De plus en plus d'organisations et porteurs de projets, pour la plupart issus de la société civile, choisissent d'utiliser une ou plusieurs pratiques sportives, pour apporter des réponses à des enjeux sociétaux d'inclusion sociale, d'éducation, d'accompagnement au développement de compétences psychosociales par exemple. Ainsi, c'est apporter un éclairage sur le sport dont on parle très peu : le sport comme vecteur de solutions.

Votre livre retrace 9 parcours, votre film 5. Y'a-t-il un parcours qui vous touche plus que les autres ?

David Blough : C'est difficile de répondre à cela car ce sont des projets où l'humain est central. Ce sont des histoires qui sont, pour la plupart très positives, mais qui ont lieu dans des contextes très différents et avec des profils différents, parfois difficiles. Je pense notamment à Sino et Buja, qui sont les deux éducateurs présents dans le film pour l'association Waves for Change à Muizenberg en Afrique du Sud. Leur histoire me touche en particulier, ils étaient bénéficiaires du programme car ils ont des parcours de vie extrêmement difficiles. Sino est une jeune femme qui a 20 ans et qui a été abandonnée par ses parents à l'âge de 3 ans. Tout comme Buja, ils ont un rôle désormais d'accompagnement auprès du même profil de jeunes qu'ils étaient auparavant. Je trouve que ce sont de jeunes personnes qui ont une maturité incroyable pour leur âge. Pour l'anecdote, ils sont venus présenter le film au mk2 Bibliothèque à Paris pour l'avant-première et c'était la 1ère fois qu'ils quittaient l'Afrique du Sud.

Quelles sont les origines de ce livre et de ce film ?

David Blough : Il faut remonter au moment où j'ai intégré une ONG qui s'appelle aujourd'hui Play international. J'ai toujours été soit dans le champ de l'économie sociale, soit dans le champ du développement et c'est par curiosité, aimant le sport, que j'ai fait du lien entre les deux. Mon but était d'essayer de voir quelle était la place des pratiques sportives dans le champ de l'humanitaire ou du développement. Il existe ainsi une vraie légitimité pour utiliser le sport à des fins d'éducation ou d'inclusion sociale par exemple, y compris dans les contextes les plus précaires et même particulièrement dans ces contextes. L'écriture de ce livre est la première chose que j'ai réalisée après avoir quitté mes fonctions de directeur à Play International en 2020. Après une cinquantaine de visioconférences, je me suis mis rapidement à l'écriture et je me suis dit que ces histoires, toutes très fortes émotionnellement parlant, méritaient d'être mises en images. L'Agence Française de Développement a été l'un des premiers partenaires à répondre présent et a amorcé le financement du film.

Auparavant vous avez écrit un livre intitulé « sport washing », en référence au green washing, qui s'attache à déconstruire les idées reçues sur le sport…

David Blough : Au bout de quelques années avec Play International, j'avais goûté à beaucoup de projets dans des contextes souvent difficiles et j'étais aussi invité à des prises de parole dans des conférences concernant ces projets ou sur la thématique en général. Je me suis rendu compte que c'est régulier d'entendre, au travers d'une grande tirade, que le sport est rempli de valeurs comme le dépassement de soi, l'esprit d'équipe etc. Mais c'est un complet décalage avec la réalité. En écoutant ce genre de discours on a l'impression qu'il suffit de mettre un ballon sur un terrain pour qu'il se passe des choses formidables, or ce type de projets demande une énergie, une ingénierie de projet, une pédagogie conséquente pour qu'il puisse fonctionner. En fait, autant comme je le disais le sport est sous-exploité en matière d'impact social, autant cet impact social n'est pas si systématique. En réalité, le sport n'a pas de valeur intrinsèque, c'est plutôt une construction idéologique qui est née avec le sport moderne au XIXe siècle. Si on veut vraiment que ces valeurs s'ancrent dans la réalité, il faut donner des ressources humaines, financières, expertes.

Ce n'est pas le ballon qui éduque, c'est l'éducateur qui peut utiliser un ballon et un terrain. Dans ce type de projet, le sport est un prétexte à l'éducation, c'est un terme très général qui revêt plusieurs nuances et réalités. « Sport-washing » dresse ainsi ce constat qu'entre la vision où le sport est une baguette magique et la vision où le sport est de l'ordre de l'inutile ou du superflu, il y a entre les deux le sport des solutions qui semble émerger. C'est le cas d'ailleurs depuis les années 90 dans le champ du développement. Il y a de plus en plus d'opérateurs qui utilisent le sport non pas comme une finalité mais comme un moyen pour atteindre des objectifs. Le film dresse ce tableau. Waves for Change par exemple, c'est la thérapie par le surf mais c'est aussi de la méditation, des exercices de respiration ou encore des groupes de paroles. C'est du sport augmenté en quelque sorte et qui a vocation à maximiser son impact auprès des bénéficiaires et s'éloigne un peu du champ compétitif qu'on connaît.

Photo : Nelson Rosier Coulhon / David Blough

Comment se structure justement le champ du développement avec cette conception du sport ?

David Blough : Premièrement, c'est qu'il y a une reconnaissance croissante du sport dans le champ du développement par les différentes agences onusiennes tantôt par l'UNESCO, puis le HCR ou encore l'UNICEF qui, dans la Convention internationale des droits de l'enfant, à l'article 31 stipule que l'accès au jeu, donc fondamentalement au sport, est un droit fondamental.

Ensuite, il y a des états qui se sont progressivement saisis de la thématique et qui sont passés d'une logique de politique de développement du sport à partir des années 60 à une politique de développement par le sport dans les années 80. C'est ce changement de paradigme qui est important et qui légitime la présence des pratiques sportives dans le champ du développement. On note aussi une accélération de l'investissement de ces champs par la société civile depuis le début des années 90. Les pays anglo-saxons, du Commonwealth ou nordiques sont les premiers à s'en être emparés. Plus récemment, en France, l'Agence Française de Développement a, dans le sillage de l'obtention des Jeux de Paris 2024, défini et mis en œuvre une vraie stratégie autour du sport et du développement. On dénombre là encore un accroissement du nombre d'opérateurs.

Pourquoi le sport reste-t-il encore sous-exploité ?

David Blough : Je pense que c'est très lié aux représentations qu'on se fait du rôle du sport et de la réalité des pratiques sportives. On a tous un rapport personnel vis-à-vis de cela que ce soit via nos pratiques sportives ou au travers de l'EPS si on remonte plus loin. Instinctivement on ne se rend pas compte que le sport ouvre une facette du champ des possibles.

Comment bailleurs et citoyens peuvent encourager les initiatives autour du sport ?

David Blough : Du côté bailleurs, il y a un besoin financier certes mais aussi un besoin d'accompagnement. C'est l'une des approches intéressantes d'Impact 2024.

Côté citoyen, il y a une nécessité d'une prise de conscience que le sport fait partie des disciplines trop souvent délaissées alors qu'elle tient une place importante. Il s'agit peut-être grâce à leur action, leur pratique sportive, de dépoussiérer l'image que l'on garde de l'EPS même si les contenus ont beaucoup évolué. Il faudrait faire passer le message que les objectifs vont au-delà de la simple évaluation des capacités motrices mais se porte aussi sur des champs de compétences psychosociaux.

Photo : Nelson Rosier Coulhon / David Blough

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 se déroulent dans quelques semaines, quel est votre avis sur les retombées de ce genre d'événements sur l'ensemble de la société ?

David Blough : Le fait qu'il y ait de moins en moins de villes candidates pour accueillir ces grands événements sportifs montre bien qu'il faut réfléchir à la manière dont ces événements sont utiles, au-delà de la compétition sportive qui dure par définition un temps limité. On parle donc souvent d'héritage olympique, mais celui-ci n'est pas systématique si on ne réfléchit pas à comment les moyens mis en œuvre pour ce type d'événement puissent perdurer. Pour cette édition, il y a quand même une vraie réflexion qui a été réalisée et cela dès la phase de candidature. Il y a notamment un fond de dotation qui s'appelle Impact 2024 qui a permis d'investir quasiment 50 millions d'euros sur des projets de sport à impact. L'enjeu maintenant c'est que ça perdure, d'autant que l'événement a permis d'initier un réel engouement que ce soit en idées ou en financement de ce type de projet.

Quels seraient vos conseils pour des porteurs de projet qui veulent se lancer dans ce type d'aventure ?

David Blough : Je dirai que le premier réflexe à avoir est de regarder ce qui se fait déjà. Il y a des acteurs comme Play International qui font des choses depuis de nombreuses années et qui ont développé une expertise certaine. Je cite cette ONG car j'y étais mais il y en a beaucoup d'autres, en France comme à l'étranger, dont je parle dans le livre. Rechercher aussi par exemple les projets financés dans le cadre d'Impact 2024 ou encore l'AFD me semble aussi une bonne idée pour s'en inspirer et identifier les méthodes utilisées. Il faut garder en tête que les activités doivent être adaptées ou choisies en fonction de certains publics et/ou de certains contextes. Malheureusement il n'y a pas de référentiel mondial pour cela, il faut donc piocher à droite et à gauche dans les travaux de sociologues jusqu'aux rapports de l'AFD par exemple.

Quel est votre point de vue sur le positionnement éventuel de club professionnel voir d'athlète sur des questions d'avenir qu'ils soient politiques, sociaux ou environnementaux ?

David Blough : De mon point de vue, ce n'est pas une obligation pour des athlètes de se positionner. En revanche, s'il y a positionnement, il se doit d'être sincère car fondamentalement les sportifs, même s'ils ont plus de visibilité, sont des citoyens comme les autres. Évidemment, quand il y a un athlète ou un club qui partage les idées que j'essaie de promouvoir forcément ça fait plaisir à partir du moment encore une fois où c'est sincère. Mais il faut aussi accepter qu'il y ait des prises de position sur des idées qu'on ne partage pas forcément, car on ne peut pas d'un côté inviter à s'exprimer sur certaines idées et déplorer un positionnement sur d'autres. Il faut accepter cette liberté d'expression aussi.
Ce qui est sûr c'est que le sport, depuis sa version moderne issue de la fin du XIXe siècle, a toujours été un espace citoyen d'expression politique. Il y a eu plein d'exemples et ça continue encore, que ce soit au travers des Jeux Olympiques ou d'autres compétitions internationales. C'est peut-être simplifié aujourd'hui par les effets des réseaux sociaux et la visibilité qu'ont aujourd'hui les sportifs ou d'une manière générale ces grands événements. Ce sont des espaces de visibilité incroyablement puissants.

Centraider

CENTRAIDER est un réseau régional multi-acteurs, au service de toutes les structures engagées dans des projets de coopération décentralisée et/ou de solidarité internationale (collectivités territoriales, associations, établissements scolaires, hôpitaux, universités, etc.). CENTRAIDER s'est fixé pour objectif l'amélioration des pratiques des acteurs de la coopération et la solidarité internationale.

Informations pratiques

Siège social

Pôle Chartrain • 140, Faubourg Chartrain, 41100 Vendôme
Tél : 02 54 80 23 09

Bureaux

Le 360 • 78 rue des Halles, 37000 Tours
Tél : 06 42 59 76 32

CIJ • 48 rue du Bourdon Blanc, 45000 Orléans
Tél : 02 38 15 66 59

Espace Tivoli • 3 rue du Moulon, 18000 Bourges

Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères
Région Centre Val de Loire
Agence Française de Développement