Publié le 09/12/2025

Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”
Photo : Ali Shalubben / Pexels
Un article de Miguel Santibáñez Ibarra
Miguel Santibáñez Ibarra travaille à l’Asociación Chilena de ONGs – ACCIÓN (plateforme de 70 institutions chiliennes pour la promotion de la citoyenneté, le respect et la reconnaissance des droits humains).
Traduit de l'espagnol par Centraider
La coopération internationale est un espace de rencontre et, fréquemment, de friction entre différentes visions du développement. Le cas de la relation Chili-Union Européenne illustre parfaitement la manière dont les cadres globaux, tels que l'Agenda 2030 et l'approche par les droits de l'homme, font avancer les choses sur le papier alors que la pratique quotidienne de la coopération reproduit des hiérarchies et des décisions prises loin des territoires du Sud Global. Ne sont pas non plus reconnus comme tels les raccourcis simplistes qu'impliquent les mesures comme le PIB par habitant pour comprendre des sociétés complexes comme la société chilienne.
Nous souhaitons ici donner une vision intégrale qui combine la mémoire historique, l'analyse institutionnelle et les cadres conceptuels contemporains pour définir une coopération interrégionale véritablement transformative, capable d'affronter les inégalités structurelles persistantes.
Coopération et dictature – Réseaux et résistance : Pendant la dictature militaire au Chili (1973-1990), la coopération n'était pas assistancialiste. C'était un pont politique, culturel et humain. Des réseaux européens (ONGs, églises, institutions locales et gouvernements) ont offert un appui financier et moral aux organisations de la société civile qui défendaient les droits de l'homme et développaient des pratiques d'organisation communautaire (soupes populaires autogérées, coopératives, etc.) construisant ainsi les bases d'un capital social inestimable. Dans cette période d'intense créativité, la coopération était le moteur des dynamiques sociales.
Le paradoxe de la transition : avec le retour à la démocratie, la croissance économique chilienne a favorisé l'argument technocratique de la nécessaire progressivité de la coopération, éliminant le Chili comme partie d'une coopération bilatérale avec l'Europe. Cette décision a omis le fait que les inégalités étaient structurelles, le système de protection social fragile et, point crucial, l'espace d'expression citoyenne n'avait pas de mécanismes nationaux de financement. Des centaines d'organisations sociales et d'ONG disparurent.
L'Accord d'Association de 2002 inclut la promesse de formaliser le dialogue avec la société civile grâce au mécanisme du Comité Consultatif Conjoint (CCC), mais celle-ci ne fut pas tenue. Le CCC était une opportunité historique mais qui, dans la pratique, n'a pas fonctionné. Ce ne fut qu'en 2015 que le Décret 167 définissant sa composition fut signé et il ne fut formellement constitué qu'en 2017. Malgré cela, côté chilien, une initiative inédite s'est structurée, regroupant de grandes centrales syndicales, les coopératives, les organisations de consommateurs, le secteur privé et les ONGs.
Cependant, le recours à la participation est resté marginal. Ce décalage entre ce qui est formellement institutionnalisé et la pratique est caractéristique des relations Nord-Sud. L'incorporation de la société civile fut symbolique, sans rôle contraignant ni incidence réelle sur la modernisation de l'accord initial qui a débouché sur l'Accord-Cadre Avancé de 2024.
Les ODD ont changé le focus de l'aide publique au développement traditionnelle vers le financement pour le développement. Ce nouveau cadre exige de focaliser sur des investissements durables, la justice fiscale, la cohérence des politiques et, ce qui est fondamental, la protection des espaces d'expression citoyenne et la reddition de comptes.
Investissements Etrangers Directs (IED) et globalisation inégalitaire : La CEPAL (Commission Economique Pour l'Amérique Latine), dans son analyse des IED, alerte sur les problèmes associés au développement en Amérique latine, où la forte concentration de l'investissement dans les secteurs extractifs s'accompagne d'une faible production de valeur ajoutée, une faible intégration dans la structure productive nationale et un transfert technologique limité.
Cette tendance enferme des pays comme le Chili dans une structure productive dépendante des ressources naturelles. Comme avertit la CEPAL, la région court le risque de se convertir en un fournisseur subordonné de matières premières pour la transition écologique du Nord.

Photo : Valparaiso au Chili / Pixabay
Les ODD ont changé le focus de l'aide publique au développement traditionnelle vers le financement pour le développement. Ce nouveau cadre exige de focaliser sur des investissements durables, la justice fiscale, la cohérence des politiques et, ce qui est fondamental, la protection des espaces d'expression citoyenne et la reddition de comptes.
La stratégie européenne Global Gateway cherche à assurer les chaînes de valeur pour la transition énergétique (lithium, cuivre, hydrogène vert). Sera-t-elle cohérente avec les discours sur la coopération internationale ? Il existe déjà un consensus entre les OSC sur le fait que si les investissements n'incluent pas de transfert technologique, le renforcement des capacités locales et une participation citoyenne contraignante, alors ils reproduiront la logique extractiviste des décennies antérieures, en y accolant simplement une étiquette “verte”. Les investissements doivent se conformer rigoureusement aux normes environnementales et respecter les droits des communautés et des peuples autochtones (Convention 169 de l'OIT), évitant ainsi de poursuivre le deux poids deux mesures historiquement appliqué.
La coopération, pour être cohérente, doit reconnaître que le renforcement de l'expression citoyenne n'est pas un “thème sans importance”, mais bien un prérequis structurel, quel que soit l'agenda de développement durable duquel on parle.
Or, les OSC font face à la restriction de leur espace d'expression citoyenne, à la criminalisation des défenseurs de l'environnement et à la désinformation qui cherche à installer l'idée qu'ils empêchent le développement. En réalité, partout où la société civile participe et fiscalise (à travers des observatoires, des rapports sur les droits ou du suivi local), les projets sont plus légitimes et durables. La coopération doit financer la fonction fiscalisatrice et la production de preuves des OSC chiliennes.
La pleine application de réglementations comme la Loi de la Transparence et l'Accord d'Escazú est indispensable à la bonne gouvernance des investissements européens. La coopération doit récupérer ce sens du dialogue politique et social des années 1980, et faciliter la mise en réseau des OSCs et des territoires.
Construire une coopération à visage humain et à pouvoir partagé requiert de dépasser l'asymétrie historique.
| Propositions à l'Union Européenne | Propositions au Chili / à l'Amérique Latine |
| Plus de deux poids deux mesures : Ce qui est obligatoire en Europe doit l'être au Chili (par ex. la diligence requise) | Pleine application de la loi : Renforcer la Loi de la Transparence et l'Accord d'Escazú |
| Financement Pluriannuel et Flexible : Appuyer la capacité institutionnelle des plateformes nationales et pas seulement des projets ponctuels | Conditionner les IED: Exiger le transfert technologique et l'implication dans le système productif national (vision CEPAL) |
| Intégration obligatoire : impliquer les OSC dans la gouvernance des investissements et pas seulement dans des consultations marginales | Renforcement citoyen : Défendre les défenseurs de l'environnement et protéger l'accès à l'information |
Le Chili se trouve à un tournant historique : il peut être un simple exportateur passif de minéraux critiques ou réinventer son modèle de développement en renforçant l'innovation et la participation.
L'Europe se trouve face à la décision de répéter une logique paternaliste ou de contribuer à une coopération réellement transformative. Le Sud Global n'a pas besoin de sauveurs. Il a besoin de partenaires cohérents, d'institutions fortes et de démocraties participatives.
La légitimité de la coopération dépendra de sa capacité à outrepasser les asymétries historiques. La durabilité du développement dépendra, elle, de ce que la voix des communautés—et de la société civile—soit protagoniste et non dans l'attente des décisions qui définiront le futur de la transition écologique. La coopération est un pacte d'humanité et une responsabilité partagée qui ne sera authentique que lorsqu'elle sera fondée sur un pouvoir partagé.
CENTRAIDER est un réseau régional multi-acteurs, au service de toutes les structures engagées dans des projets de coopération décentralisée et/ou de solidarité internationale (collectivités territoriales, associations, établissements scolaires, hôpitaux, universités, etc.). CENTRAIDER s'est fixé pour objectif l'amélioration des pratiques des acteurs de la coopération et la solidarité internationale.
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