« La solidarité devient réelle lorsqu'elle crée de l'autonomie »

Publié le 09/12/2025

Asid Kelo

Un article issue de la revue n°57 “Célébrer la Solidarité, des clés pour continuer d’agir”

Photo : Asid Kelo

Une interview d’Abderamane Mahamat

Abderamane Mahamat est Président de l’association Asid Kelo

Depuis 2019, l'association Asid Kelo œuvre au Tchad pour soutenir des initiatives locales fondées sur la formation, la transmission de compétences et l'implication directe des communautés. Son président, Abderamane Mahamat, raconte la genèse du projet, les réalisations déjà menées, les leçons apprises et sa vision d'une solidarité discrète mais profondément transformatrice.

Comment est née l'idée de créer Asid Kelo ?

Tout est parti de plusieurs retours à Kelo, ville située au sud du Tchad, d'où je suis originaire. À chaque séjour, j'y rencontrais des personnes motivées, dotées d'une énergie admirable et d'une volonté sincère d'agir. Pourtant, leurs projets restaient souvent au stade de l'idée, faute d'accompagnement technique, de moyens financiers ou de structure pour organiser leurs activités. C'est alors que j'ai pris conscience que, parfois, un simple appui méthodologique, une formation adaptée ou une compréhension plus claire des enjeux économiques peut suffire à transformer une intuition en réalité tangible. En 2019, nous avons donc fondé Asid Kelo afin de créer un pont entre la diaspora, les acteurs locaux et d'éventuels partenaires. L'objectif était, et demeure, de soutenir des projets initiés par les communautés elles-mêmes, dans une logique d'autonomie et de durée.

Quelles premières actions avez-vous menées sur le terrain ?

Nous avons rapidement orienté nos efforts vers deux domaines qui présentaient un fort potentiel d'impact : la formation agricole et les activités génératrices de revenus. Cela s'est traduit par la mise en place de séances de formation, puis par l'accompagnement de deux projets pilotes, l'un consacré à l'élevage de volaille, l'autre à la transformation de la mangue. L'idée n'était pas simplement de transmettre une technique mais d'amener les bénéficiaires à maîtriser tout le cycle : la gestion, la production, la transformation, la conservation et enfin la commercialisation. Nous souhaitions que ces activités deviennent des projets réellement structurants et pas uniquement de l'aide ponctuelle.

Quel est le moment qui vous a le plus marqué depuis la création d'Asid Kelo ?

Sans hésitation, je dirais la transformation de la mangue avec le groupement de femmes FEMACT. Les voir acquérir pas à pas les gestes, utiliser les machines, comprendre la gestion des stocks et produire des mangues séchées d'une qualité remarquable a été un véritable tournant. Beaucoup d'entre elles ne s'étaient jamais imaginées produire un jour un produit valorisable au-delà de leur village. Nous avons ensuite pu rapatrier en France quelques échantillons. Les retours ont été enthousiastes, parfois même étonnés par la qualité gustative. Cette validation externe a provoqué chez elles une immense fierté. Elle a confirmé que leur travail pouvait entrer sur un marché élargi et que leur savoir-faire avait toute sa place dans une filière économique naissante. À mes yeux, cela a donné, à leur engagement, une dimension nouvelle : celle de la reconnaissance et de l'estime de soi.

Comment valorisez-vous ces réussites auprès des communautés ?

Nous organisons systématiquement des séances de restitution. Ce sont des moments importants, à la fois conviviaux, émouvants et exigeants, durant lesquels nous partageons les avancées du projet, les réussites, les zones d'amélioration et les perspectives d'avenir. Nous projetons des images, diffusons des témoignages et prenons le temps d'écouter les ressentis de chacun. Ces instants créent un lien profond, renforcent la confiance et donnent à chacun un rôle visible dans le processus. La solidarité n'existe pas sans reconnaissance.

Quelles sont selon vous les clés d'une solidarité efficace et durable ?

Avec le temps, nous avons identifié trois principes essentiels. D'abord, la transparence. Elle concerne les décisions, les finances, les partenariats et la communication. Ensuite, le transfert de compétences, qui demeure la véritable finalité de tout projet d'aide. Une action réussie est une action qui continue d'exister sans nous. Enfin, l'implication directe des bénéficiaires, dès le début, pour qu'ils en soient les moteurs. Rien ne peut fonctionner durablement si les premiers concernés ne se sentent ni légitimes ni décisionnaires. La solidarité ne consiste pas à agir à la place des autres, mais à donner les moyens d'agir par eux-mêmes.

Quels obstacles avez-vous rencontré sur le terrain ?

Comme dans tout projet international, nous avons dû faire face à des imprévus. Certains équipements nécessaires à l'élevage ont dû être importés du Cameroun, provoquant des retards qui ont bouleversé notre calendrier. Lors du projet de transformation, l'installation solaire n'était pas suffisamment dimensionnée, ce qui a entraîné des ajustements techniques coûteux en temps. À cela s'ajoutent les délais administratifs, parfois longs et imprévisibles. Cependant, ces obstacles ont accéléré notre professionnalisation. Nous avons appris à anticiper, à nous adapter et à prévoir une marge de flexibilité dans chaque action. Ce sont des leçons précieuses.

Quels sont vos projets à moyen terme ?

Nous souhaitons consolider la filière mangue et la rendre pérenne, en permettant à d'autres groupements d'y accéder, de se former et de produire à leur tour. Nous envisageons également de diversifier les activités génératrices de revenus, toujours autour de projets réalistes, contextualisés et portés par les femmes et les jeunes. Il s'agit pour nous de soutenir des trajectoires qui transforment durablement les conditions de vie. Toute personne souhaitant se rapprocher de notre démarche peut participer à nos rencontres, diffuser nos actions, proposer des compétences ou des soutiens financiers. La solidarité se construit par addition, jamais par substitution.

Photo : Asid Kelo

Faut-il encore distinguer solidarité locale et solidarité internationale ?

Pas vraiment. Être solidaire, ce n'est pas une question de géographie, mais d'état d'esprit, qui nait de l'empathie et d'une conscience citoyenne.
Nous voyons des collectivités locales très investies dans des projets à l'étranger, par exemple au Bénin, en Amérique centrale ou en Inde, et qui sont aussi parmi les plus actives dans l'économie sociale et solidaire sur leur territoire. Les deux se nourrissent mutuellement.

De la même façon, beaucoup de bénévoles cumulent plusieurs engagements : aide aux migrants, lutte contre la pauvreté, coopération internationale… La solidarité est multiple, et plus elle s'exprime dans la diversité, plus elle devient forte.

Quand une collectivité ou une association s'engage à l'international, cela a un effet d'entraînement local. On voit naître des collaborations, des envies, des projets communs. C'est un cercle vertueux qui irrigue tout un territoire.

La jeunesse, souvent décrite comme désengagée, est pourtant très mobilisée sur les questions de justice et de climat notamment. Comment la percevez-vous ?

Je crois qu'il faut tordre le cou à l'idée selon laquelle les jeunes ne s'engagent plus. C'est faux : les statistiques montrent que leur taux d'engagement bénévole dans nos organisations dépasse désormais celui des retraités. Mais leurs formes d'engagement ont changé. Elles sont plus horizontales, peut-être plus volatiles, souvent portées par des causes globales — le climat, la diversité, la justice de genre.

De Coordination SUD, est née une commission jeunesse et solidarité internationale et un programme spécifique, Place aux jeunes !, porté par l'organisation Engagé.e .s et déterminé. e.s qui explorent ces nouveaux modes d'engagement et poussent les organisations et les politiques publiques à favoriser cet engagement des jeunes qui ne cherche qu'à s'exprimer. L'enjeu, je crois, n'est pas de faire entrer à tout prix les jeunes dans nos structures existantes, mais d'aller là où leurs solidarités s'expriment : dans les mouvements climatiques et environnementaux, les initiatives locales, les associations nouvelles.

En conclusion, comment voyez-vous l'avenir de la solidarité internationale ?

Je le vois avec lucidité mais aussi avec espoir. Les crises sont profondes, les tensions fortes, mais la solidarité internationale reste un espace d'innovation, d'humanité et d'espérance. Les associations, petites, moyennes ou grandes, continuent d'inventer, de relier, de défendre le bien commun.
Notre rôle à Coordination SUD, c'est de leur donner les moyens d'exister, de coopérer et de porter haut cette conviction simple : co-opérer, c'est reconnaître que nos chemins de vie sont reliés. Ces réseaux puissants que nous tissons avec le monde protègent nos futurs.

La solidarité n'est pas une utopie : c'est une manière concrète et nécessaire d'habiter le monde.


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